Shigeko Hirakawa

Pierre Restany, Avril 1998
"Shigeko Hirakawa - oeuvres sélectionnées, 1993-1998"

Entre l'intuition et la raison

J'ai connu Shigeko Hirakawa à l'occasion de sa participation à une exposition de sculptures japonaises « In situ » organisée par la ville de Mont-de-Marsan en mai 1997 et j'ai été fortement impressionné par la netteté et la précision de son intervention sur un site névralgique de la ville, au confluent de la Midouze. En amont du confluent, elle avait réparti toute une rangée de pieux de bois gainés de vert clair dans le bassin de l'abreuvoir et, en aval du pont qui enjambe la rivière, elle avait dessiné sur les berges un parcours ondulant fait de cinq ellipses composées de terre et d'entassements alternés de souches et de billots. Ce tracé, par son biais elliptique, redonnait sa dignité au profil des berges à l'abandon et affirmait le signal dialectique d'une forte présence existentielle, le rappel, à travers les pleins de la terre et les déliés des racines, de l'alternance éternelle entre le vide et le plein, la vie et la mort.

C'est donc sur cette force signifiante du land art de Shigeko Hirakawa que s'était fixé mon souvenir et quand j'ai vu à Choisy-le-Roi ses travaux récents en février 1998, qui représentent le volet intimiste de sa démarche, je n'ai pas été déçu le moins du monde.  Jai retrouvé dans ses peintures et ses sculptures l'incisive clarté de l'exactitude de sa découpe formelle du terroir. Ses sculptures d'assemblage en fibres compressées évoquent, dans le déhanchement de leurs courbes, des lignes sinueuses de chutes d'eau ou des cascades en gouttières serpentines. Les pièces posées à plat sur le sol évoquent elles aussi la fluidité elliptique d'une surface onduleuse où viendrait s'affirmer, dans les tons clairs du beige du cartonnage, la marque dynamique d'un territoire existentiel.  Les peintures de Shigeko Hirakawa qui sont des toiles délavées, rongées par l'acide détergent, sur des panneaux aux formes irrégulières, évoquent des configurations amibiennes au noyau dilué, ou encore les cotylédons de je ne sais quelles graminées phanérogames prêtes au clonage biologique.

Ces oeuvres d'intérieur qui précèdent dans leur conception l'intervention « In situ » de Mont-de-Marsan témoignent bien de la sensibilité osmotique de leur auteur : elles constituent, chacune à leur manière, des sortes de maquettes d'espace libre au contact desquelles se développe en une juste harmonie entre l'intuition et la raison, la pensée créatrice de l'artiste.  L'imagination spatiale de Shigeko Hirakawa est dynamisée par un souffle profond et une vision vaste où le sens aigu de l'écologie s'allie à une réflexion constante sur le devenir de l'être.  C'est dans ce binôme réaliste-spirituel que l'artiste puise et consolide au quotidien son envergure conceptuelle. Un vrai travail de précision dans l'obstination à la manière d'une fourmi géniale.

Au risque d'effaroucher sa modestie, je nourris pour Shigeko Hirakawa des ambitions très larges : à la frontière entre le matérialisme moderniste du land art et du minimalisme « néo-Zen » du Mono-ha, l'artiste doit s'affirmer à la place authentiquement originale qui est la sienne.

Je pense que ce voeu conclusif donne tout son vrai sens à mon texte de présentation.
 

Pierre RESTANY
Paris, avril 1998